Le complexe d’Orphée ou le sentiment de culpabilité face à la mort d’un proche

La mort d’un proche se double souvent d’un sentiment de culpabilité pour ceux qui restent. Le mythe d’Orphée en est le symbole, d’où le terme « complexe d’Orphée » en référence au célèbre « complexe d’Œdipe ».

Le poète…

Orphée est le fils de Calliope, la muse de la poésie, et d’Œagre, un roi de Thrace où la poésie serait née en raison de son paysage verdoyant. Certains réfutent cette ascendance paternelle et lui préfèrent Zeus lui-même comme géniteur.

Quoi qu’il en soit, Orphée incarne la poésie, la beauté et le chant. À tel point, dit-on, que lorsque sa voix s’élevait dans les airs, les âmes s’apaisaient, la nature suspendait son souffle, les oiseaux s’arrêtaient de chanter, les rivières de s’écouler et les poissons de nager afin de mieux l’écouter. D’autant qu’il accompagne sa voix mélodieuse de la musique qu’il tire d’une lyre à sept cordes offerte par Apollon lui-même. On dit qu’il y rajouta deux cordes pour gagner encore en musicalité…

Or, un jour qu’il se promène en forêt, il rencontre la belle Eurydice dont le nom signifie « justice divine ». Cette ravissante jeune fille est une dryade, c’est-à-dire une nymphe des forêts. Ils tombent immédiatement amoureux l’un de l’autre et décident de se marier sans attendre.

Las, à peine leurs vœux formulés, un serpent mord la cheville de l’épousée qui décède dans d’atroces souffrances.

À partir de ce moment tragique, Orphée n’est plus que larmes et douleur. Il s’en va trouver Hadès, le dieu des Enfers et lui demande de lui redonner son Eurydice. Hadès refuse, Orphée s’entête. À force de chants persuasifs, Hadès se laisse enfin fléchir et accepte de laisser la belle remonter dans le monde des vivants à une seule condition : qu’Orphée ne se retourne jamais sur elle tant qu’elle n’aura pas quitté le monde des morts.

… maudit

Orphée accepte avec joie et c’est accompagné cette fois de son épouse qu’il parcourt le chemin inverse. Alors qu’il est presque arrivé, il n’entend plus les pas de sa belle derrière lui et se retourne… pour la perdre à jamais.

Si ses premières larmes avaient ému jusqu’aux pierres les plus dures, cette fois ses gémissements incessants, malgré leur beauté, finissent par lasser. D’autant que les Ménades, suivantes du dieu Dionysos, amoureuses du beau poète ne supportent pas bien de le voir rester fidèle à une disparue. Excédées, elles se ruent sur lui et le réduisent en morceaux.

Pour décoder

Orphée est considéré comme l’archétype du prêtre des Mystères d’Éleusis. C’est que le chant du poète, sa musique, parlent à l’âme. Ils possèdent un aspect initiatique, car tous la comprennent au-delà des mots. Orphée a inspiré le poète Épiménide et le philosophe Pythagore. Son chant s’élève vers la spiritualité et s’adresse aux trois règnes : animal, végétal et minéral. Autrement dit, il est universel.

Alors, pourquoi se retourner ?

On peut se demander comment un être aussi comblé peut-être assez sot pour contrevenir aux instructions d’Hadès et se retourner.

Une première hypothèse est que le poète vit en dehors de toute raison et qu’ils ne suit que son instinct en toute inconséquence. Ne dit-on pas d’une personne en dehors de toute réalité « c’est un poète » ?

Une seconde hypothèse concernant ce mythe relève davantage de la psychologie.

Le mythe d’Orphée et le sentiment de culpabilité

Le poète s’en veut d’avoir causé la mort de sa bien-aimée. Si l’on étudie bien le mythe, le fait de se retourner est somme toute extrêmement minime. En outre, tout mortel est sous la coupe de la « justice divine » ultime, c’est-à-dire la mort.

La peine d’Orphée est alors plutôt à mettre au compte d’un sentiment de culpabilité devant la perte de l’être aimé. Ce sentiment de n’avoir pas fait ce qu’il fallait pour l’éviter… et de jamais pouvoir s’en consoler.

Pour aller plus loin

Les mythes sont une manière de rendre intelligible l’incompréhensible. Ils ne s’adressent pas à la raison, mais à l’intuition. Il n’y a aucune logique, ni espace ni temps. Et c’est parce qu’il n’y a aucune argumentation rationnelle que chacun peut en tirer sa propre vérité.

Mon ouvrage Mythologos, développe les principaux mythes grecs sous forme de roman.

L'auteur : Franck Senninger

Franck Senninger est écrivain et médecin. Il écrit plus particulièrement des romans (Prix Littré, Prix du Rotary international, sélection au Prix Tangente de lycéens 2022), des nouvelles (Prix Cesare Pavese), des ouvrages de psychologie et de vulgarisation médicale. Ses livres sont actuellement traduits en italien, espagnol, portugais, polonais et en arabe. Il est membre de l'Académie Littré et ancien président du jury français du Prix Cesare Pavese (Italie). Il est aussi journaliste pour La Voce, le magazine des Italiens en France et cofondateur de l'Alliance italienne universelle, une association qui réunit les fils de l'Italie. Il donne régulièrement des conférences à l'Université Inter-Âge de Créteil, à l'Université inter-âge de Noisy-le Grand et à l'Université Paris-Est Créteil. Petit-fils de philosophe, trois générations de médecins l'ont précédé ce qui explique sans doute son attrait partagé pour la plume et le stéthoscope.

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