
Je réponds aux questions des lecteurs de La Voce sous mon pseudonyme de journaliste (Franco Berneri-Croce)
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Juillet-Août 2025
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Hospitalité : de l’obligation sacrée au pacte partagé
Accueillir l’étranger fut longtemps un impératif vital, puis religieux ; aujourd’hui, l’idéal affronte les limites matérielles et psychiques de nos sociétés. Mais l’équilibre dépend aussi de l’invité : sans un art de « bien recevoir » et de « bien être reçu », la porte se claque. Voyage au cœur d’une vertu réciproque dont l’excès, des deux côtés, peut la nier.
Quand accueillir relevait de l’honneur
Dans la Grèce archaïque, transgresser la xenia attirait la colère de Zeus Xénios. Au Proche-Orient, refuser l’abri, c’était condamner au désert. Les Romains scellèrent des pactes d’hospitium sur des tessères de bronze garantissant lit et pain. Les Celtes liaient prestige et générosité autour du feu central. Chez les nomades, offrir pain et sel signait un cessez-le-feu tacite : la survie tenait à l’hospitalité.
L’empreinte religieuse
Dans la Genèse, Abraham bondit pour servir trois inconnus – figure de Dieu lui-même. Le Lévitique rappelle sans cesse à Israël qu’il fut « étranger au pays d’Égypte ». Le Christ célèbre l’hospitalité : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli. »
L’islam prolonge ces règles : la sunna prescrit trois jours d’hébergement sans exiger de contre-don. En Inde, « Atithi Devo Bhava » élève l’hôte au rang de divinité. Le bouddhisme voit dans l’accueil une pratique de détachement de l’ego. Partout, la maison devient un micro-sanctuaire.
Devoirs de l’invité : gratitude, discrétion, réciprocité
Si l’hospitalité est un don, elle n’est pas un dû absolu. Dès Homère, Télémaque honore Ménélas par des propos mesurés et un échange de présents : l’invité se fait garant de paix. Lorsque le même Ménélas reçoit Pâris et que ce dernier s’enfuie avec son épouse, celadéclence la guerre deTroie. L’islam conseille de partir avant d’importuner l’hôte. Le Talmud fixe à trente jours la limite de dépendance.
Aujourd’hui, le voyageur connecté cumule avis et notations : politesse, soin des lieux, participation aux tâches deviennent monnaies de remerciement. La règle tacite demeure : remercier, préserver l’intimité de celui qui reçoit, offrir en retour – ne serait-ce qu’un plat, un récit, un savoir.
Quand trop d’hospitalité tue l’hospitalité
Jacques Derrida parlait d’« hospitalité conditionnelle » : passeport, carte bancaire ou rating filtrent l’entrée. Emmanuel Lévinas avertissait qu’une ouverture sans limite épuise l’hôte et devient inhospitalière. Les crises migratoires ou le tourisme de masse illustrent la tension : bénévoles exténués, villes saturées, puis réflexes de fermeture. L’invité sans égards érode la confiance et nourrit le rejet. L’équilibre tient à la juste mesure – ce que les Anciens nommaient sophrosyné.
Conclusion ouverte
L’hospitalité véritable n’est ni la porte close ni la porte béante. c’est l’art d’orchestrer une rencontre. À l’hôte revient l’élan, à l’invité la délicatesse. Ensemble, ils créent le « temps de la maison », un temps limité, mais inoubliable. Car la porte la plus accueillante n’est pas celle qui reste ouverte indéfiniment, mais celle que l’on sait ouvrir à temps – et refermer – en se promettant de la rouvrir ailleurs.