L’odyssée 9

Étape 9 : Charybde et Scylla ou les Roches Errantes

La neuvième étape de son long périple se situe dans le détroit de Messine entre Calabre et Sicile.

Odyssée, chant XII :

L’île (des sirènes) disparaît. Mais soudain j’aperçois la fumée d’un grand flot dont j’entends les coups sourds. La peur saisit mes gens.

… Pilote, à toi mes ordres : tache d’y bien penser puisqu’à bord du vaisseau c’est toi qui tiens la barre. Tu vois cette fumée et ce flot : passe au large et prends garde à l’écueil ! Si gagnant à la main le navire y courait, c’est à la male mort que tu nous jetterais.

… Nous entrons dans la passe et voguons angoissés. Nous avons d’un côté la divine Charybde et de l’autre Scylla.

… Mais tandis que nos yeux regardaient vers Charybde d’où nous craignions la mort, Scylla nous enlevait dans le creux du navire six compagnons.

L'histoire

Le navire vogue, des fumerolles apparaissent sur les flots sans que le vent ne souffle.

Devant lui deux menaces qui peuvent devenir fatales.

D’un côté Carybde, de l’autre Sylla.

La première consiste en un tourbillon prêt à engloutir le navire. Il aspire trois fois par jour une énorme quantité d’eau avec tout ce qui flotte dessus et les recrachent en une multitude de gouttelettes et de morceaux. Aussi Ulysse fait-il manœuvrer le navire de façon à éviter Carybde.

Carybde était la fille de Poséidon (Neptune) et de Gaïa la Terre. Sa voracité légendaire fit qu’elle dévora le troupeau de bœufs d’Héraclès (Hercule). Or, le fis de Zeus n’était pas particulièrement reconnu pour son sens de l’humour, pas plus que pour son empathie. Il la punit en l’envoyant dans le détroit qui borde la pointe de la péninsule italienne et la Sicile où, depuis, elle aspire les eaux sans jamais se rassasier.

Ce faisant, malheureusement, le navire s’approche alors trop près de Scylla qui lui fait face, de l’autre côté.

Sclylla était à l’origine une très belle jeune femme. Sa beauté avait jadis rendu jalouse Amphitrite, l’épouse de Poséidon (Neptune) qui avait été séduit par ses attraits. L’épouse furieuse avait transformé sa rivale en chienne monstrueuse dotée de six têtes et de douze pattes. Chacune de ces têtes prélevait six marins, une par gueule, sur les navires qui passaient à portée pour les dévorer.

Malheureusement, avec les remous provoqués par les tourbillons de Carybde, le navire se manœuvre difficilement. Il s’approche trop près du monstre et… six de ses marins finissent dans son estomac.

Ce triste tribut de sang payé, Ulysse, le cœur lourd, put enfin poursuivre sa route vers Ithaque.

L'interprétation

Le bonheur exige des choix et, qui dit choix, dit sacrifices. Prendre une option c’est sacrifier l’alternative, choisir c’est renoncer. Pour Ulysse mieux valait perdre six hommes que le navire corps et biens. La navigation vers le bonheur exige son lot de déceptions, de regrets, de désillusions, de pertes. L’esprit conçoit naturellement le bonheur comme un gain continuel, un casino où le joueur sortirait à chaque fois le numéro gagnant.

Rien n’est plus faux. Chaque jour apporte son lot de satisfactions et de déceptions. Parfois les premières l’emportent, souvent les secondent prévalent. Et même dans ce dernier cas, la morale de ce mythe intrinsèque à l’Odyssée est que certaines pertes peuvent amener à la réussite du projet, voir au bonheur.

On peut aussi voir ce passage entre Carybde et Sylla comme une injonction à prendre la voie du milieu pour éviter les écueils.

Cette voie du milieu est très présente dans le bouddhisme, mais aussi dans le taoïsme avec le yin et le yang où figure le Principe qui structure le Cosmos et la Vie.

Certes, Homère ne connaissait sans doute pas ces entités métaphysiques, mais les mythes ignorent le temps et l’espace. Ils sont communs à toutes les civilisations sous différentes formes.

Ainsi cette neuvième étape de l’Odyssée peut-elle signifier que pour trouver la voie du bonheur, mieux vaut préférer la voie du Milieu et accepter les écueils que la vie met sur le chemin.

L’expression aller de Carybde en Scylla est restée et signifie aller de mal en pis.

*

Article précédent : Odyssée, étape 8

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L'auteur : Franck Senninger

Franck Senninger est écrivain et médecin. Il écrit plus particulièrement des romans (Prix Littré, Prix du Rotary international, sélection au Prix Tangente de lycéens 2022), des nouvelles (Prix Cesare Pavese, Prix Città di Cattolica), des ouvrages de psychologie et de vulgarisation médicale. Ses livres sont actuellement traduits en italien, espagnol, portugais, polonais et en arabe. Il est membre de l'Académie Littré et ancien président du jury français du Prix Cesare Pavese (Italie). Il est aussi journaliste pour La Voce, le magazine des Italiens en France et cofondateur de l'Alliance italienne universelle, une association qui réunit les fils de l'Italie. Il donne régulièrement des conférences à l'Université Inter-Âge de Créteil, à l'Université inter-âge de Noisy-le Grand et à l'Université Paris-Est Créteil. Petit-fils de philosophe, trois générations de médecins l'ont précédé ce qui explique sans doute son attrait partagé pour la plume et le stéthoscope.

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