Comment un simple dieu est devenu le dieu des dieux grâce aux femmes
Zeus signifie la vie (Zoé). On connaît Héra, l’épouse jalouse et officielle de Zeus. Mais avant de régner à ses côtés pour l’éternité, le maître de l’Olympe a uni son destin à d’autres déesses, chacune porteuse d’une haute valeur symbolique : Métis, Thémis, Eurynomé, Déméter, Mnémosyne et Léto. À travers elles, c’est tout un programme philosophique qui se dessine : que faut-il intégrer pour devenir souverain de sa propre vie, et que nous dit ce parcours de la vie elle-même ? Cette nouvelle série de sept portraits tente d’y répondre à travers la mythologie.
1. Métis : la sagesse rusée qu’il faut avoir en soi
Première épouse de Zeus, Métis incarne l’intelligence tactique, la ruse prévoyante. C’est elle qui conseille Zeus pour vaincre Cronos et libérer les dieux. Mais une prophétie annonce qu’elle donnera naissance à un fils destiné à détrôner son père. Zeus la dévore alors, enceinte.
De ce geste violent naîtra pourtant Athéna, jaillissant du crâne de Zeus, armée et déjà adulte. La sagesse n’est pas extérieure : elle n’est ni dans les livres ni dans les oracles, mais intégrée à soi.
2. Thémis : l’ordre, la justice et la limite
Après Métis vient Thémis, déesse de la Justice originelle, des lois naturelles non écrites qui structurent le monde. De leur union naissent les Heures et les Moires, symboles des saisons, de l’ordre cosmique et du destin.
Avec Thémis, Zeus cesse d’être un simple vainqueur : il devient garant d’un ordre. Le souverain n’est plus seulement celui qui décide, mais celui qui se soumet lui aussi à une forme de mesure, de juste proportion.
3. Eurynomé : l’harmonie et la grâce sociale
Eurynomé, souvent oubliée, donne à Zeus les Trois Grâces : charme, beauté, générosité. C’est une union discrète mais décisive : elle insère la dimension esthétique et relationnelle au cœur même du pouvoir.
Le règne de Zeus n’est pas que justice et stratégie ; il doit aussi séduire, réunir, créer de l’adhésion. Sans la grâce, sans esthétique, la souveraineté tourne vite à une domination froide et souvent laide.
4. Déméter : la terre nourricière et le cycle des saisons
Avec Déméter, déesse des moissons, Zeus engendre Perséphone, dont l’enlèvement par Hadès explique l’alternance des saisons. Par cette union, Zeus se lie à la terre, à la fécondité, aux récoltes qui permettent aux humains de vivre.
Ici, le pouvoir divin touche à l’infrastructure du monde : sans nourriture, pas de cité, pas de culte, pas de dieux honorés. Zeus se fait garant d’un cycle vital où mort et renaissance sont indissociables, où la vie se nourrit non seulement spirituellement mais aussi matériellement.
5. Mnémosyne : la mémoire et la naissance des Muses
Mnémosyne, Titanide de la Mémoire, donne à Zeus les neuf Muses, inspiratrices des arts, de la poésie, de l’histoire. Après la sagesse, la loi, l’harmonie et la fertilité, voici la mémoire qui conserve, raconte et transmet.
Zeus devient ainsi père de la culture. Le pouvoir s’adosse à la capacité de se souvenir, de nommer, de chanter le passé. Sans mémoire, ni justice ni ordre ne tiennent longtemps.
6. Léto : la lumière mesurée et la douceur terrible
Avec Léto, Zeus engendre Apollon et Artémis. Pourchassée par la jalousie d’Héra, Léto trouve finalement refuge à Délos pour y accoucher. De cette union naissent la lumière apollinienne, la musique, la mesure, mais aussi l’arc qui frappe de loin. Nait aussi la lumière lunaire, faible, presque imaginaire comme l’intuition qui permet la chasse, la recherche.
Léto inscrit le règne de Zeus dans la clarté et la distance : l’autorité se fait lumière qui éclaire, avec ordre et intuition.
7. Héra : l’institution, la durée et le prix à payer
Enfin vient Héra, l’épouse officielle, la reine de l’Olympe. Elle incarne le mariage, la légitimité, l’ordre familial et politique. Avec elle, le règne de Zeus se stabilise : il cesse d’errer de déesse en déesse pour s’enraciner dans une institution.
Mais cette stabilité a un prix : la jalousie, la surveillance, le conflit conjugal permanent. Héra rappelle que tout pouvoir institué doit composer avec la rancœur, les blessures, les fidélités trahies.
Zeus, le pouvoir et la vie : une trajectoire initiatique et philosophique
De Métis à Héra, Zeus ne fait pas que multiplier les conquêtes : il traverse des dimensions successives de l’existence. Il épouse la ruse (Métis), la loi (Thémis), l’harmonie (Eurynomé), la terre nourricière (Déméter), la mémoire (Mnémosyne), la lumière mesurée (Léto) et enfin l’institution durable (Héra).
Les linguistes rattachent le nom de Zeus à la lumière du ciel, mais la tradition grecque l’a souvent rapproché du verbe zên, « vivre ». Souverain du tonnerre, il incarne aussi la puissance de la vie qui se construit en intégrant des forces diverses, parfois contradictoires.
Nous pouvons y lire une leçon pour notre propre existence : devenir vraiment « roi » de sa vie, ce n’est pas tout contrôler, mais reconnaître que nous devons épouser tour à tour la prudence, la justice, la beauté, la fécondité, la mémoire, la lumière intérieure et, tôt ou tard, les liens qui nous engagent.
Avant d’être un dieu de puissance, Zeus est peut-être le récit de ce long travail d’unification.
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Article précédent : Antée
Mythologos de Franck Senninger
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