L’odyssée 4

Étape 4 : l’île d’Éole

La quatrième étape de son long périple se situe le long de la côte calabraise, sur une île identifiée aujourd’hui comme celle de Vulcano.

Odyssée, chant X :

Nous gagnons Éolie, où le fils d’Hippotès cher aux dieux immortels, Éole, a sa demeure. C’est une île qui flotte, une côte de bronze, infrangible muraille, l’encercle toute entière, une roche polie, en pointe vers le ciel…

Nous montons vers le bourg jusqu’à son beau manoir. Éole tout un mois me traite et m’interroge, car il veut tout connaître…

Quand voulant repartir, à mon tour je le prie de me remettre en route, il a même obligeance à me rapatrier. il écorche un taureau de neuf ans ; dans la peau, il coud toutes les aires des vents impétueux, car le fils de Cronos[1] l’en a fait régisseur… Il les excite ou les apaise.

Il me donne ce sac et s’en vient l’attacher au creux de mon navire ; puis il me fait souffler l’haleine d’un zéphyr, qui doit, gens et vaisseaux, nous porter au logis.

L'histoire

Ulysse accoste dans un port où des pêcheurs lui indiquent qu’il se trouve sur l’île du roi Éole, le gardien des vents. Avec trois de ses compagnons, Ulysse se rend auprès du monarque et se présente. Ce dernier lui fait bon accueil et le retient à sa table durant un mois entier, et probablement davantage si le héros ne lui avait pas demandé d’y mettre un terme afin de pouvoir enfin retourner auprès des siens avec ses hommes.

Le nom grec d’Éole est Aïolos et ce dieu des vent habite sur une île appelée Éolie. Des doutes subsistent sur l’identité de son père. Peut-être un mortel du nom d’Hippotès, ou peut-être Poséidon, voire Zeus lui-même. Il a pour épouse Cyané, la nymphe du lac.

Le roi Éole y consent et lui fait même un cadeau. Une outre gonflée de vent à l’exception du seul vent d’Ouest, Zéphyr, qui le conduira paisiblement à destination. Si d’aventure, il avait besoin de changer de direction, il pourrait dénouer le fil d’argent qui ferme le sac et laisser un vent sortir, mais jamais plus d’un à la fois, jamais !

Durant quatre jours le bateau vogue sans qu’Ulysse ne puisse fermer l’œil. Il sent que ses hommes se méfient de lui. Ces derniers pensent qu’Éole lui a fait un cadeau somptueux, d’une richesse telle que leur roi préfère le garder pour lui plutôt que de le partager. Les guerriers ont beau soulever l’outre et constater qu’elle ne pèse rien, leur conviction l’emporte sur la réalité.

Enfin, un soir, alors que le soleil se couche derrière la poupe, les cimes d’Ithaque apparaissent au loin. Tous décident de passer la dernière nuit à bord du navire plutôt que de débarquer dans la pénombre nocturne.

Las, Ulysse relâche sa vigilance. Le sommeil le prend. Les hommes en profitent pour regarder à l’intérieur de l’outre et… en un instant, tous les vents, même les plus terribles prennent possession des éléments. La mer se soulève. Les navires rompent leurs amarres et, emportés par les flots déchaînés, retournent dans l’île d’Éole tandis que six hommes tombent à la mer et se noient.

Lorsque Éole aperçoit une nouvelle fois Ulysse dans son palais, il s’étonne de sa présence. Ne devrait-il pas, à cette heure, déjeuner en compagnie des siens ? Un doute survient dans son esprit. N’aurait-il pas ouvert l’outre malgré son interdiction ? Ulysse acquiesce.

Cette fois, furieux, Éole le chasse. Ulysse doit reprendre la mer à la rame. Aucun vent ne viendra l’aider durant plusieurs jours.

Quand enfin un souffle se lève, c’est dans une direction contraire qu’il pousse les navires.

L'interprétation

Que retirer de ce mythe à travers le prisme des étapes du bonheur ?

Éole signifie « changeant ». Même la personne la plus affable peut se montrer impitoyable dans certaines conditions. Celui qu’on croyait son meilleur ami peut parfois se retourner contre soi. Il est bon de s’en souvenir. Surtout lorsque les dieux sont contrariés.

Par ailleurs, l’homme commun se montre facilement envieux des possessions d’autrui, combien même celles-ci ne seraient que du vent. La stupidité plus encore que la méchanceté guide leur action. Et, sur le grand navire de la vie, la première se rencontre autant que la seconde. Il suffit d’en avoir conscience.

Enfin, quand le but tant convoité arrive à portée de main, la vigilance diminue jusqu’à empêcher sa réalisation. Parfois même, il s’agit d’un véritable acte manqué.

Acte manqué : L’acte manqué correspond à un acte qui n’atteint pas le but escompté du fait du désir inconscient de ne pas réussir.

On voit souvent cela dans le milieu sportif où un champion à quelques points de la victoire, à une fraction de seconde près, laisse celle-ci lui échapper.

Dans le cas d’Ulysse, il n’est pas encore prêt à rentrer chez lui. Son voyage, ne l’oublions pas, est un voyage initiatique. Il a encore un chemin à parcourir pour trouver le bonheur et, peut-être, se trouver lui-même.

[1] Zeus.

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