L’odyssée 8

Étape 8 : Les sirènes

La huitième étape de son long périple se situe sur une île en face de Naples.

Odyssée chant XII :

Circé s’adresse ainsi à Ulysse :
Vous voilà donc au bout de ce premier voyage ! écoute maintenant ce que je vais te dire et qu’un dieu quelques jours t’en fasse souvenir.

Il vous faudra d’abord passer près des sirènes. Elles charment tous les mortels qui les approchent. Mais bien fou qui relâche pour entendre leurs chants ! Jamais en son logis, sa femme et ses enfants ne fêtent son retour, car de leurs fraîches voix, les sirènes le charment, et le pré, leur séjour, est bordé d’un rivage tout blanchi d’ossements et de débris humains, dont les chairs se corrompent.

L’histoire

Ulysse prend donc la mer et, une fois la fameuse île en vue, demande à se faire attacher solidement au mat du navire. Puis, il ordonne à ses guerriers de se boucher les oreilles avec de la cire.

Alors que le navire s’approche du rocher, il découvre que la blancheur décrite par Circé correspond bien aux ossements des marins venus s’échouer sur le rocher. Et, de fait, un chant, une mélodie merveilleuse, s’échappe de la poitrine de trois sirènes.

Les sirènes étaient au nombre de trois. Elles se nommaient Parthénopé « qui est née d’une virginité déflorée », Leucosia « la blancheur immaculée » et Ligia « qui est aiguë ». Leurs attributs : le chant, la harpe, la flûte.

Leur dos s’embarrasse d’ailes sans plumes qui ne peuvent leur permettre de voler et leurs jambes admirablement fuselées se terminent par des pattes d’oiseau. On dit qu’avant cette triste transformation, elles étaient de délicieuses jeunes filles, suivantes de la déesse Perséphone (Proserpine). Elles jouaient avec la fille de Zeus (Jupiter) et de Déméter (Cérès) lorsque Hadès (Pluton), le dieu des Enfers, son oncle enleva leur maîtresse. Elles assistèrent à la scène et Déméter, leur demanda où avait été enlevée sa fille chérie. Les trois jeunes filles ne purent lui apporter de réponse. Alors dans un accès de fureur, Déméter gratifia ces écervelées d’ailes et de pattes d’oiseau. « Maintenant, allez la chercher par-delà les mers et les montagnes ou ne revenez plus ». Elles chantèrent alors leur malheur qui devint encore plus grand quand elles osèrent prétendre donner de la voix mieux que les muses… Grave erreur ! Elles perdirent alors leurs plumes et ne purent même plus voler.

Toujours est-il qu’Ulysse entend le son merveilleux de ces sirènes dont la voix lui chante ses louanges mieux que n’importe quel poète. Il crie, ordonne qu’on le détache. Ses hommes, sourds à ses ordres, lui sourient sans comprendre l’origine de toute cette agitation.

Le bateau s’éloigne, le chant s’estompe et c’est seulement lorsque le rocher n’est plus en vue que les sujets détachent leur roi. Ulysse reprend le commandement l’esprit encore troublé par la beauté du chant.

On dit que faute de n’avoir pu séduire Ulysse, les sirènes se suicidèrent par dépit. Ce qui est sans doute faux puisque Parthénope est aujourd’hui l’emblème de la ville de Naples.

L’interprétation

Contrairement à l’idée que l’on en a, correspondant à une magnifique jeune fille avec une queue de poisson qui charme par la douceur de sa voix et sa plastique sans défaut, les sirènes de l’Odyssée ressemblent beaucoup plus à des personnages cauchemardesques. Elles provoquent la destruction de ceux passent à portée de leur voix. D’un certain point de vue elles sont semblables à ces guerriers qui détruisent tout sur leur passage, comme le montre le premier épisode au pays des Cicones où ils ont semé la terreur et la mort.

Cet épisode des sirènes prend tout son sens après la visite aux Enfers. Il faut avoir le dos solidement arrimé au mat pour accepter de se voir tel que l’on est. C’est à dire un être mortifère sans état d’âme, prenant plaisir à la dévastation et à la tuerie sans aucune retenue comme lors de la mise à sac de la ville de Troie.

Par ailleurs, le chant merveilleux des sirènes, par sa pureté, peut représenter symboliquement la connaissance. Cette connaissance qui emporte ceux qui s’approche trop près de son rocher perdu en pleine mer. À l’instar des Marie Curie morte de la radioactivité découverte par elle, des Mermoz aviateurs disparus dans l’océan Atlantique, et autres explorateurs comme James Cook tué par les indigènes aux îles Sandwich, on ne compte plus ceux qui sont tombés au chant de sa douce voix.

On peut aussi trouver une autre interprétation à ce mythe des sirènes plus proche du reste de l’expression « céder aux chant des sirènes » qui signifie « céder à la tentation ».

Il faut avoir en tête que les sirènes ne produisent pas de simples vocalises. Elles chantent les louanges de ceux qui passent à portée de voix. Elles flattent la vanité et l’orgueil et savent que les hommes y sont sensibles.

Ceux qui écoutent les flatteries des flagorneurs patentés risquent de se perdre sur les écueils placés sur leur chemins. Ce que Ésope, puis Phèdre, puis Lafontaine ont mis en scène dans leur fable du corbeau et du renard où tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute.

Seule l’expérience et la maturité symbolisées par les attaches sur le mat de la Raison permettent d’y résister. C’est aussi la connaissance de ses défauts et de ses imperfections (Ulysse doit se faire attacher) et la reconnaissance des illusions et de l’éphémère qui permettent de distinguer le vrai du faux.

*

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L'auteur : Franck Senninger

Franck Senninger est écrivain et médecin. Il écrit plus particulièrement des romans (Prix Littré, Prix du Rotary international, sélection au Prix Tangente de lycéens 2022), des nouvelles (Prix Cesare Pavese, Prix Città di Cattolica), des ouvrages de psychologie et de vulgarisation médicale. Ses livres sont actuellement traduits en italien, espagnol, portugais, polonais et en arabe. Il est membre de l'Académie Littré et ancien président du jury français du Prix Cesare Pavese (Italie). Il est aussi journaliste pour La Voce, le magazine des Italiens en France et cofondateur de l'Alliance italienne universelle, une association qui réunit les fils de l'Italie. Il donne régulièrement des conférences à l'Université Inter-Âge de Créteil, à l'Université inter-âge de Noisy-le Grand et à l'Université Paris-Est Créteil. Petit-fils de philosophe, trois générations de médecins l'ont précédé ce qui explique sans doute son attrait partagé pour la plume et le stéthoscope.

One Reply to “L’odyssée 8”

  1. Merci Franck : car en effet les sirènes d’Ulysse ont un physique très éloigné de celui que l’on attribue habituellement aux sirènes des poètes… Pourquoi, en particulier, une queue de poisson ?

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