Interview postume de Ettore Bugatti
Mon interview d'une célébrité dans La Voce de février-mars 2024 (pseudonyme Franco Berneri-Croce)
Franco Berneri-Croce : Salve Ettore ! Merci de me recevoir pour LA VOCE, le magazine des Italiens en France. Si j’osais, je vous demanderais : alors ça roule ?
Ettore Bugatti : Très drôle ! Vous savez, là où je me trouve, je n’ai pas souvent l’occasion de rire. Mais je dirais que ça trotte gentiment.
FBC : C’est vrai qu’avant de vous lancer dans la construction des voitures vous aimiez les chevaux !
EB : Où, j’ai même doté tous mes modèles d’une calanque, la partie avant de la voiture par où l’air passe pour refroidir le moteur, d’une forme de fer à cheval.
FBC : Racontez-nous comment vous êtes arrivé à construire des voitures parmi les plus luxueuses au monde.
EB : Tout d’abord mes voitures sont belles. Nous avons, nous Italiens, la beauté dans le sang, et plus encore dans ma famille. Je suis né en 1881 à Milan. À l’époque, il n’y avait que des voitures à chevaux et j’ai été l’un des tout premiers constructeurs automobiles. Mon père était ébéniste d’art (je préfère ce terme à designer). Mon oncle était peintre et mon frère sculpteur. J’ai d’ailleurs étudié avec lui à l’Académie des Beaux-Arts de Milan.
FBC : Je comprends pour la beauté de vos modèles, mais de là à fabriquer des moteurs…
EB : J’ai toujours adoré la mécanique. Je suis tout d’abord entré en stage chez un constructeur de bicyclette que j’ai doté d’une roue supplémentaire et d’un moteur et cela, à l’âge de 17 ans. J’ai ensuite fait des courses avec ces engins à trois roues et j’ai même remporté plusieurs courses internationales comme pilote sur mes engins à trois roues, puis à quatre roues, entre 18 et 20 ans.
FBC : Complimente ! Mais fabriquer des voitures, ça doit coûter un bras.
EB : Mon père avait un ami très riche : le comte Gulinelli qui m’a mis le pied à l’étrier, si l’on peut dire. Grâce à lui, j’ai créé la Bugatti Type 2 qui a gagné le Grand Prix du salon international de l’automobile de Milan. J’ai alors été remarqué par le baron De Dietrich avec qui je me suis associé, suite au retrait de la famille de mon mécène qui avait perdu l’un de ses membres.
FBC : Juste pour avoir une idée à quelle vitesse roulait votre Type 2 ?
EB : À 60 km/h. Une performance à l’époque !
FBC : Il paraît qu’il y avait quand même un problème de freinage sur vos modèles.
EB : Les voitures sont faites pour avancer. Et puis, ce problème a été résolu par la suite avec les Types suivants. Je me suis associé à d’autres industriels comme Peugeot, mais je n’ai jamais été aussi bon que tout seul avec ma Bugatti Type 35 qui a remporté plus de 2000 victoires en course. Ce record n’a jamais été égalé.
FBC : Tout allait pour le mieux alors !
EB : Oui, mais chaque pièce à son revers. Il y a eu la crise de 1929. J’ai réussi à éviter la faillite de mon entreprise en fabriquant des autorails qui roulaient à 192 km/h, un nouveau record ! J’ai ensuite travaillé à la construction d’un avion, mais la Seconde Guerre mondiale est arrivée et surtout mon fils et mon associé s’est tué. Je ne m’en suis jamais remis.
FBC : De quoi est-il mort ?
Long silence.
EB : D’un accident de voiture.
FBC : Je suis désolé… Quand êtes-vous arrivé en France ?
EB : En fait, je suis arrivé en Alsace 1909 où j’ai créé ma première entreprise personnelle. Puis, comme vous le savez, l’Alsace est redevenue française en 1919. Je suis resté en France, mais n’ai demandé ma nationalité française que peu avant ma mort.
FBC : Une vie bien remplie. Si je résume : une foule de modèles de voitures, toutes de luxe ou de compétition, 10 000 victoires et 37 records. C’est incomparable.
EB : Si c’est comparable, ce n’est plus Bugatti !