Je réponds aux questions santé des lecteurs de La Voce sous mon pseudonyme de journaliste (Franco Berneri-Croce)
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L’épigénétique transgénérationnelle ou comment nos ancêtres façonnent notre ADN
Et si les événements vécus par nos grands-parents ou de nos arrière-grands-parents influençaient notre hérédité, nos peurs, nos comportements ou notre santé à notre insu…
Quand l’hérédité dépasse la génétique
L’épigénétique est un domaine scientifique qui explore comment nos comportements et notre environnement peuvent modifier le fonctionnement de nos gènes sans pour autant changer notre ADN, le disque dur de notre hérédité. La branche passionnante de l’épigénétique transgénérationnelle va encore plus loin, suggérant que les expériences de nos ancêtres pourraient avoir un impact direct sur notre propre biologie.
Les mystères de l’héritage épigénétique
Ce que nous vivons peut laisser des « marques » sur nos gènes en ajoutant des composés chimiques comme un atome de carbone sur l’ADN, influençant ainsi leur activité sans altérer la séquence génétique. Ces changements sont généralement provoqués par des facteurs environnementaux tels que le stress, l’alimentation, ou l’exposition à certaines substances. Ces marques peuvent être transmises d’une génération à l’autre, ce qui signifie que les conditions de vie de nos grands-parents pourraient affecter notre santé de manière invisible.
De la théorie à la réalité humaine
En 2013, une étude innovante réalisée par les chercheurs Brian G. Dias et Kerry J. Ressler a suscité un vif intérêt dans le domaine scientifique. Ils ont conditionné des rats mâles à associer une odeur spécifique à un léger choc électrique, induisant ainsi une peur conditionnée. La découverte surprenante fut que même les descendants de ces rats, qui n’avaient jamais rencontré leurs pères ou qui étaient nés via fécondation in vitro, réagissaient avec peur à la même odeur. Cette réaction se manifestait également dans la génération suivante. Cette étude a donc suggéré que ces réponses de peur étaient transmises par le biais du matériel génétique dans le sperme et non par apprentissage direct ou éducation.
Les recherches sur des animaux ont déjà montré que les effets des marques épigénétiques peuvent se transmettre sur plusieurs générations. Chez l’humain, les liens entre les événements vécus par les générations précédentes, comme les famines ou les guerres, et la santé des descendants actuels ont été étudiés. Ces recherches pourraient expliquer pourquoi certaines populations présentent des prédispositions à des maladies spécifiques, offrant un nouvel éclairage sur les maladies héréditaires.
Un exemple venu du Nord
Överkalix, un village isolé du nord de la Suède, est devenu le centre d’intérêt des chercheurs grâce à ses archives détaillées sur les récoltes et l’état civil de ses habitants. Des scientifiques suédois ont étudié environ 300 résidents nés entre 1890 et 1920, ainsi que les historiques de leurs ancêtres, et ont découvert une corrélation étonnante entre les périodes de disette vécues par les grands-pères et la santé de leurs petits-enfants. Ils ont observé que les petits-enfants des grands-pères qui avaient subi une famine entre 9 et 12 ans avaient un taux de mortalité significativement plus bas, bien qu’ils soient plus susceptibles de souffrir de maladies cardiovasculaires et de diabète. Ce phénomène surprenant suggère un effet épigénétique transgénérationnel, où les expériences des ancêtres ont une influence sur la descendance par des mécanismes autres que la transmission génétique classique.
Des implications éthiques à considérer
Si nous pouvons hériter et potentiellement modifier ces marques épigénétiques, devrions-nous le faire ? Les possibilités de prévenir des maladies ou d’améliorer certaines caractéristiques génétiques sont tentantes, mais elles soulèvent également des questions éthiques profondes comme l’eugénisme. Cela nous amène à réfléchir à l’impact de nos actions et choix de vie actuels non seulement sur notre santé, mais aussi sur celle des générations futures.
Conclusion
L’épigénétique transgénérationnelle révolutionne notre compréhension de l’hérédité, nous rappelant que nos liens avec nos ancêtres sont plus profonds que nous ne le pensions. Cette science émergente nous montre que les expériences et le vécu de nos prédécesseurs peuvent façonner notre être d’une manière que nous commençons tout juste à comprendre. C’est un domaine prometteur qui pourrait bien transformer notre approche de la santé et de la maladie dans les années à venir.