Quand la liberté conduit à la tyrannie : De Platon à Karl Popper
La liberté, souvent perçue comme une valeur suprême dans les sociétés modernes, est également une notion complexe qui, si elle est mal comprise ou mal exercée, peut paradoxalement conduire à la tyrannie. Platon, dans La République et Les Lois, explore cette transition de la liberté à la tyrannie, tout en soutenant que, sous certaines conditions, une dictature éclairée peut être le meilleur des systèmes. Karl Popper, de son côté, aborde ce paradoxe de la liberté se faisant le chantre d’une société ouverte ennemie d’une société fermée.
La liberté et la tyrannie selon Platon
La dérive de la démocratie vers la tyrannie
Dans La République, Platon analyse les différents régimes politiques et décrit la manière dont une démocratie peut dégénérer en tyrannie. Pour Platon, la démocratie est un régime où la liberté devient excessive, menant au chaos. Lorsque les citoyens, en quête de liberté absolue, rejettent toute forme d’autorité, cela crée un désordre social. Ce chaos ouvre la voie à l’émergence d’un leader charismatique qui, en promettant de restaurer l’ordre, finit par accaparer tout le pouvoir, devenant ainsi un tyran. C’est ce qui s’est passé avec Mussolini par exemple une fois qu’il eut installé le désordre. D’autre part, une liberté absolue laisse celui qui les gouverne libre de toute décision, ce qui conduit à des abus de plus en plus fréquents et autoritaires, le tyran recherchant avant tout une pouvoir sans aucune contestation (voir article sur la tyrannie).
Cependant, il est important de noter que Platon ne considère pas cette transition vers la tyrannie comme inévitable. Il critique la démocratie pour sa tendance à la dégénérescence, mais il soutient également qu’un régime dictatorial peut être légitime et même souhaitable, à condition que le dictateur soit un philosophe-roi. Pour Platon, un philosophe-roi, doté de sagesse et de vertu, est le mieux placé pour diriger, car il gouverne non pas pour son propre intérêt, mais pour le bien commun. Dans cette vision, une dictature éclairée serait donc le meilleur des systèmes, surpassant même la démocratie. Cette dictature éclairée manque tout de même de lumière quand l’auteur de La République écrit que le philosophe en tant que roi « se doit de recourir au mensonge et à la fraude » dans l’intérêt de ses sujets. Ce n’est là que l’un des nombreux aspects de la société fermée préconisée par Platon.
Le paradoxe de la liberté selon Karl Popper
Une liberté sans limites peut détruire la liberté
Karl Popper, philosophe du XXe siècle, poursuit cette réflexion sur la liberté et la tyrannie avec ce qu’il appelle le « paradoxe de la liberté » dans La société ouverte et ses ennemis. Selon Popper, une liberté absolue, sans aucune contrainte, peut mener à sa propre destruction.
Prévenir la tyrannie par la société ouverte
Popper illustre ce paradoxe en soulignant que si chaque individu est totalement libre de faire ce qu’il veut, y compris d’enfreindre les droits des autres, la liberté des plus faibles est inévitablement sacrifiée au profit des plus forts. C’est alors qu’une certaine dose de coercition est indispensable pour garantir que la liberté de chacun soit protégée, évitant ainsi que la liberté ne se transforme en tyrannie des forts sur les faibles. C’est là le paradoxe de la liberté.
Dans La société ouverte et ses ennemis, Popper donne son propre point de vue. Il critique les systèmes totalitaires qui, au nom d’une liberté absolue ou d’une idéologie rigide, finissent par opprimer la population. Il plaide pour une société ouverte, où la liberté est protégée par des institutions démocratiques qui préviennent l’émergence de la tyrannie. Contrairement à Platon, Popper rejette l’idée d’une dictature éclairée, affirmant que même un philosophe-roi peut devenir un tyran si son pouvoir n’est pas limité par des institutions démocratiques et la critique publique.
Conclusion : liberté, ordre et responsabilité
Platon et Karl Popper offrent des perspectives contrastées sur la relation entre liberté et tyrannie. Platon, tout en mettant en garde contre les excès de la démocratie, défend l’idée d’une dictature éclairée, d’une société fermée, comme le meilleur système, sous la condition que le dirigeant soit un philosophe-roi. Popper, en revanche, plaide pour une société ouverte où la liberté est protégée par des lois et des institutions démocratiques et non par un philosophe-roi plus proche d’un autocrate que d’un gouvernant. Ces réflexions rappellent que la liberté, pour être durable et bénéfique, doit être exercée avec responsabilité et encadrée par un ordre juste et rationnel.