Interview postume de Giacomo Casanova
Mon interview d'une célébrité dans La Voce de avril-mai 2024 (pseudonyme Franco Berneri-Croce)
Intervista di Giacomo Casanova
Franco Berneri-Croce : Ah, cher Giacomo comme je suis heureux de vous rencontrer enfin ! Les lectrices de La Voce liront votre interview avec un certain frisson. Vous avez dit-on mille conquêtes féminines à votre actif ! Cela fait de vous le plus célèbre des Vénitiens et des séducteurs.
Giacomo Casanova : Je n’ai jamais compté, vous savez. Pour moi, chaque femme est unique.
FBC : J’ai lu vos mémoires. Elles sont passionnantes, avec beaucoup de pensées philosophiques et avec aussi le récit de vos aventures. Concernant le chapitre féminin, je garde le souvenir poignant d’Henriette qui avait écrit sur la vitre d’une auberge « Moi aussi tu m’oublieras ».
GC : Ah Henriette ! J’étais très amoureux et je l’ai laissée dans cette auberge d’Aix-en-Provence. J’aimais encore plus ma liberté et j’ai eu peur de succomber à ma passion pour elle.
FBC : Et puis, il y a votre célébrissime évasion de la prison des plombs ! Vous avez été le seul à pouvoir vous vanter de cet exploit.
GC : Mais oui, j’ai réussi à passer par les toits, à redescendre dans un cabinet puis dans une cour où les gardes m’ont pris pour un d’eux.
FBC : Et vous vous êtes enfui. Vous avez traversé plusieurs pays et pour vous faire comprendre vous parliez latin. Pour gagner de l’argent, vous jouiez au pharaon, un jeu de cartes. Vous dupiez aussi les âmes trop crédules.
GC : J’ai beaucoup gagné et beaucoup perdu aussi. Toute la bonne société parlait latin. Je n’avais pas de mérite, mais je parlais aussi le français. Quant à la crédulité, je n’ai jamais profité que des riches si ceux qui étaient si sots qu’ils ne faisaient même pas attention à leur argent.
FBC : Puisque nous parlons de la France, vous avez connu le duc de Choiseul, vous avez été présenté au roi Louis XV. Racontez-nous un peu.
GC : J’ai en effet bénéficié de la protection du duc de Choiseul, Premier ministre de Louis XV. J’ai créé pour lui ce qui allait devenir la loterie nationale et joué le rôle d’espion. J’ai eu l’occasion dans cet emploi de côtoyer le chevalier d’Éon qui se grimait si bien en femme que beaucoup se méprenaient.
FBC : À la cour du roi, vous avez rencontré un compatriote : Joseph Balsamo, comte de Cagliostro qui ne vous portait pas dans son cœur[1].
GC : Ah Joseph Balsamo ! Je me souviens… Un escroc de premier ordre, disciple du comte de Saint-Germain avec lequel j’ai eu quelques mots également.
FBC : Vous étiez aussi un fort bon violoniste et aussi franc-maçon.
GC : En effet, même s’il n’y a pas de rapport entre les deux. J’ai parfois joué du violon pour gagner ma vie. Quant à la franc-maçonnerie, au siècle des Lumières, beaucoup en faisaient partie. J’ai été initié et j’ai été élevé maître en trois ans. Cela m’a ouvert bien des portes.
FBC : Oui, c’est ce que j’ai lu dans vos mémoires. Mais je préfère que vous me redisiez toutes ces personnalités que vous avez connues.
GC : Eh bien, outre les personnes déjà mentionnées, j’ai côtoyé en Angleterre le roi Georges III, en Prusse le roi Frédéric II, et en Russie l’Impératrice Catherine II. À Paris, j’ai rencontré Benjamin Franklin, l’inventeur du paratonnerre. J’ai aussi rencontré Goethe, l’auteur de Faust ainsi que Voltaire avec qui je me suis moyennement entendu. Il n’a pas apprécié que je le reprenne sur un point de littérature italienne. J’ai conversé aussi avec son « grand ami » Jean-Jacques Rousseau. Ah oui ! J’allais oublier. J’ai eu aussi le plaisir de parler musique avec Mozart et religion avec le pape Clément XIII.
FBC : Quelle vie d’aventurier ! Vous avez rédigé vos mémoires en français !
GC : En effet. J’ai d’ailleurs si vous me le permettez une petite anecdote à ce sujet. J’avais rédigé plusieurs chapitres à la suite de longues journées et d’encore plus longues nuits passées à écrire. Une pile manuscrite déjà consistante ornait mon bureau. Un jour en rentrant de promenade, je ne trouve plus mon manuscrit. Je demande à ma femme de chambre si elle ne l’aurait point déplacé et voilà qu’elle me répond que s’il s’agissait des feuilles toutes noircies d’encre dont je voulais parler, elle avait tout jeté pour faire place nette, ne laissant que les blanches sur la table.
FBC : Un cauchemar pour tout écrivain. Je compatis. Actuellement, certains adeptes du wokisme veulent brûler vos écrits au motif que vous êtes un vil séducteur, un affreux violeur. Quel regard portez-vous sur notre société ?
GC : Vous savez à mon époque, on mourrait tôt. La conscience de savoir qu’on pouvait passer d’un moment à l’autre de vie à trépas faisait que les femmes comme les hommes avaient le goût de profiter de la vie tant qu’elle était là. Vous vivez dans un monde virtuel à travers vos écrans et vous oubliez l’essentiel, c’est que vous êtes vivants.
[1] Voir La Voce n°120.